mai 2025
De la Création reçue à la création fabriquée ?

Parmi les joies du dernier Carême figurent les nombreuses propositions paroissiales qui ont nourri nos trois relations essentielles : relation à Dieu (temps de prières et d’adoration, sacrement du pardon), relations à nos prochains (témoignages de paroissiens, services à l’Arche et propositions du Pôle Solidarité), relation à notre environnement (24 heures pour le Seigneur entre nos quatre églises, parcours Laudato Si’). Ce dernier aspect, en particulier, nous aide à remettre à sa place un juste rapport à la Création.
En effet, à l’heure où l’humanité emprunte toujours davantage les chemins du calcul, de l’« intelligence » artificielle, de la biotechnologie et des manipulations climatiques, une tentation nous guette, celle d’une toute-puissance technique, qui prétend supplanter la nature. Aujourd’hui, tout semble susceptible d’être produit, contrôlé, amélioré, par l’homme et pour l’homme, y compris la vie humaine elle-même ! À terme, certains rêvent même d’un monde sans risques, sans imprévus,
où l’homme serait son propre maître.
Mais la logique du « tout est possible » est grosse de tous les risques lorsqu’elle met la science au-delà de toute éthique. Comme le rappelle le pape François dans ‘Laudato Si’, ceci naît souvent de l’illusion du refus de nos limites, de l’oubli de la Création comme don et de la séduction d’une autonomie sans horizon spirituel. Peu à peu, le calcul et les techniques exercent leur domination sur l’économie, la politique et même la vie familiale ou le travail personnel. Tous les liens fondamentaux sont menacés, y compris ceux entre l’homme et la terre, entre la Création et le Créateur.
À l’opposé de cette tentation croissante, l’Église propose depuis des siècles un geste d’une simplicité désarmante : les Rogations. Dans ces prières rurales, célébrées traditionnellement lors des trois jours qui précèdent l’Ascension, les fidèles demandent la bénédiction des récoltes, la pluie bienfaisante, la protection contre les fléaux. On y marche dans les chemins, on bénit les champs, on chante des litanies. Rien d’efficace, rien de mesurable, mais tout est offert et accueilli, dans une humble
confiance.
Les Rogations ne sont pas une superstition d’un autre âge. Elles sont un acte de foi profondément écologique : elles rappellent que nous ne sommes pas maîtres de la terre, mais intendants. Que les fruits ne viennent pas d’abord de notre génie, mais d’un mystère plus grand. Elles nous placent dans une posture de gratitude, d’attention et de contemplation, d’émerveillement autant que de supplication.
En redécouvrant ces gestes simples, l’Église peut aujourd’hui rappeler que la véritable dignité humaine ne se trouve pas dans la capacité à produire le monde, mais à le recevoir et à le gérer avec respect et gratitude.
Dans la joie d’une création habitée par la présence de Dieu, et non fabriquée par nos seules mains. Comme le dit encore François : « La nature est un livre splendide dans lequel Dieu nous parle ». Sachons, dans l’éclosion du printemps, ouvrir ce livre.
Père Hubert Vallet